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La Succession
Jean-Paul Dubois
Éditions de L’Olivier, 2016, 240 p.





La famille est un fardeau



Né en 1950 à Toulouse, Jean-Paul Dubois a fait des études en sociologie, avant de devenir journaliste. Auteur d’une quinzaine de romans, il a reçu le Prix Femina et le Prix du Roman Fnac en 2004 pour son célèbre roman Une vie française. La succession est publié aux Éditions de l’Olivier. Le héros du roman s’appelle Paul Katrakilis. Il est médecin mais il gagne sa vie en jouant à la pelote basque à Miami. Il se dit n’avoir été heureux que durant les quatre ans de sa vie au Jaïalaï de Miami. Originaire de Toulouse, son grand-père, Spyridon, était le médecin de Staline. Son père, Adrian, exerçait lui aussi la médecine. Sa mère ne se séparait jamais de son frère Jules ; un amour incestueux au sein du foyer. Un choc psychologique se produira. Toute la famille se suicidera. « Un jour tu finiras par prendre ma succession ». Ceci est la phrase écrite que le père a laissée dans une de ses lettres. L’annonce du suicide de son père en 1987 oblige Paul à rentrer à Toulouse pour un court séjour, mais il se trouve contraint de reprendre son cabinet de médecin. Les années toulousaines emportent Paul loin de la légèreté de Miami. Avec le souvenir d’Ingvild, la perte de Watson, l’éloignement de Joey et surtout le poids d’une lourde succession, Paul perd son sourire basque. « J’essayais de ne pas écouter ce qui se passait dans ma tête, mais c’était impossible. » À la fin, Paul est face à l'héritage de son père, il découvre les deux carnets qui comprennent la liste des suicides :

Sur la table basse du salon j’ai laissé les deux carnets noirs en évidence. Sur celui des pathologies, j’ai mentionné : numéro 18, psychose hallucinatoire/hespérophanes. Sur le second, j’ai rempli toutes les informations réglementaires : Katrakilis, Paul, 44 ans, jeudi 5 avril 2001, 14 h 40. Nom, prénom, âge, jour, mois, année, heure. Toujours dans cet ordre.

Jean-Paul Dubois, dans La Succession, nomme son personnage principal Paul, comme dans beaucoup de ses livres. On ne s'étonnera pas si presque tous ses romans – et en particulier La Succession – parlent de la Famille, comme il dit : « La famille, c'est un fardeau ». Le personnage principal des romans de Dubois est souvent originaire de Toulouse et souvent attiré par l'Amérique. La Voiture est également considérée comme un espace privilégié dans son œuvre. Le narrateur y est le héros. Il semble donc qu'il y a des choses partagées entre le héros et l'auteur, tels que le lieu et le nom. Le roman pose des questions sur la conscience, il pousse à repenser les souvenirs et l'environnement qui nous entoure, en proposant une réflexion sur la manière dont ils influencent notre destin. Le style de l'écrivain se base sur des phrases simples. Les mots sont la meilleure chose pour mettre fin à nos souvenirs douloureux. Comme l’indique l’image de la couverture, le passé est la balle que le joueur de pelote basque reçoit pour la relancer avec son bâton vers un autre, tout un jeu de succession.





Ahmed Mohamed al-Sayyid

Université d’al-Azhar

Département de Langue et Littératures Françaises

4ème année
Petit pays
Gaël Faye

Editions Grasset, 2016, 216 p.

La nostalgie obsédante du pays natal
Musicien avant de passer à l’écriture, Gaël Faye est né en 1982. Métis, d’un père français et d’une mère rwandaise d'ethnie Tutsi, il a quitté Bujumbura en 1995 à la suite de la guerre civile qui a éclaté au Burundi. Petit pays est son premier roman publié chez Grasset. Il s’agit de l’histoire d’un enfant, Gabriel, qui partage de nombreux points communs avec l’auteur ― origine, identité, etc. ― mais le héros a sa propre histoire. Gabriel, enfant franco-rwandais, vit au Burundi, à Bujumbura avec son père, sa mère, sa sœur et une bande d’amis, Gino, Armand, et Les jumeaux. Sa vie, c’était le bonheur : une vie paisible, un bon sommeil et une douce enfance. Mais les événements s’accélèrent et les choses vont se dégradant. L’enfant vit la souffrance de la séparation de ses parents et la terrible guerre entre les Tutsis et les Hutus. Même les Rwandais qui avaient quitté leur pays pour aller au Burundi, échapper aux tueries, aux massacres et aux guerres, comme la famille de Gabriel, allaient être confrontés à la même guerre. Quel cruel destin, qui oblige l’un à être un Tutsi et l’autre un Hutu, sans choix possible ! Bien que sa mère soit Tutsi, Gaby refuse de prendre parti, il veut rester neutre, sans choisir de prendre parti pour les Hutus ou les Tutsis. Il veut rester un être humain, vivre en paix avec sa famille, ses proches, ses amis. Cette absurde différence ethnique n'a pas d'origine réelle. Le lecteur a ainsi la chance de découvrir un mélange de sentiments et d’états : bonheur, douleur, paix, guerre, manque de souvenirs d’enfance, peur de trouver des vérités enfouies. Le retour au pays natal est un sentiment obsédant. Pas un jour sans que celui-ci ne soit présent dans nos esprits. Un bruit furtif, une odeur diffuse, une lumière d’après-midi, un geste, un silence parfois, suffisent à réveiller les souvenirs. Tout cela apparaît clairement dans un poème de Jacques Roumain offert à Gaby : « Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes...».


Ahmed Mohamed Hanafi
Université d’Al-Azhar
Département de Langue et Littératures Françaises
4ème année
L’Autre qu'on adorait
Catherine Cusset
Editions Gallimard, 2016, 300 p.
Les malheurs du réel
Psychologue brillante et hardie, d'une insistance enthousiaste et créative, l'écrivaine Catherine Cusset nous parle dans ce roman de thèmes très importants et nous fait le récit de personnages réels connus de tous.
L’histoire du roman est l’histoire d’une vie, celle de Thomas. Une vie qui a été gaspillée par ses proches et ses amis puis par une maladie chronique, la bipolarité, qui n’est découverte qu’à la fin de sa vie. La vie de Thomas aux États-Unis est partagée en trois périodes. La première est celle de la réflexion des camarades de Thomas sur lui-même, période sur laquelle la vie de Thomas sera basée. Thomas n'a pas réussi à l'examen à cause de ses camarades, et surtout de Nicolas. La deuxième période est celle du lancement, qui commence après la perte de la confiance en son entourage. Thomas se met alors en quête d’un autre monde, d’autres amis, d’autres amours. En même temps, sa vie professionnelle se poursuit et ses promenades avec de nouveaux amis lui redonnent l’espoir de trouver du soutien. Réussira-t-il à retrouver le bonheur ? Dans la troisième période, celle de l’isolement du monde, Thomas s’enferme après avoir découvert que tout le monde le fuit et ce même lorsqu’il tend la main à une dame qui a des problèmes avec sa fille ou à un élève qui a besoin d’aide. Mais rien ne lui servira quand il découvrira sa maladie chronique.
L’auteure retient son lecteur par un rythme rapide et par son étonnante capacité de se déplacer d'une situation à une autre. Les enchaînements entre les différentes périodes de la vie de Thomas se lient parfaitement. Les expressions sont claires et faciles à comprendre. Le tutoiement dans le roman atteste de l’intensité de l’amitié entre le narrateur et le héros du roman. Catherine Cusset est une écrivaine habile. Mais il convient de mettre en lumière deux éléments : la cause principale de l’échec de Thomas est qu'il ne s’organise pas et renonce facilement face aux obstacles de la vie. Ce roman parle principalement d'une maladie très dangereuse, la bipolarité, une phobie qui commence par le chagrin et finit souvent par le suicide en passant par le refus du dialogue, même avec les proches et les amis. Enfin, ce qui m’a touché le plus dans ce roman, ce sont les malheurs du réel. Et je crois que cela vous touchera aussi...
Chérif Hassan al-Sahmawi
Université d’al-Azhar
Département de Langue et Littératures Françaises
4ème année
Possédées
Frédéric Gros
Editions Albin Michel, 2016, 296 p.

La violence éternelle
Les filles du couvent sont la proie d’une œuvre maléfique. Les proies d’un piège. Mais quel piège ? Celui-ci a été agencé par le prêtre Sacerdos et le diable Astaroth. Mais quel diable ? C’est un grand-duc de l’enfer. En effet, des filles, pauvres moniales, innocentes victimes, ont été forcées à avoir des relations sexuelles avec Satan en 1632. Un prêtre malveillant aurait signé un pacte avec le diable pour lancer sur le couvent une légion de démons sous le règne de louis XIII. Des événements graves. Des apparitions nocturnes d’un ecclésiaste en soutane. Des entités réelles et démoniaques dans la cellule des moniales. Les religieuses ont eu à subir une attaque brutale. Première victime, Jeanne des Anges est la supérieure du Couvent des ursulines. Mais qui peut faire sortir le diable de leurs corps ? Une réunion est organisée entre plusieurs personnages pour cesser cette farce dangereuse et pour enquêter sur ce qui s’est passé avec Jeanne et les autres sœurs : le Procureur du roi, l’Avocat du roi, le gendre du Procureur et le pharmacien. Ce dernier utilisera l’eau bénite mais en vain. Le diable ne voudra pas sortir du corps de Jeanne. Les défis sont énormes. Urbain Grandier, le curé de Loudun, possède quant à lui plusieurs qualités : une grande beauté et un esprit vif. Sa beauté et son intelligence attisent la jalousie et la haine de certains de ses paroissiens envers lui. Son physique et son esprit lui permettent de s’attirer les faveurs de plusieurs femmes. À cause de ces relations, Grandier sera jeté dans la prison de l’évêché de Poitiers à la mi-novembre 1629. La peste frappera ensuite la ville en 1632. Les nonnes accuseront Grandier de les avoir envoûtées et d’avoir pactisé avec le diable pour s’attaquer au couvent. Grandier portera alors plainte auprès de l’évêque de Poitiers mais l’évêque, lui aussi, ne l’aimait pas. Grandier est remis en prison, il reste debout, tête levée, mains jointes, les yeux fermés et ses lèvres récitent des prières. Grandier est condamné à mort. Il parle aux chrétiens : « Je vous supplie, je vous conjure, j’ai peur de blâmer mon dieu et d’insulter mon église. » Grandier hurle de douleur. Les rues sont pleines de vacarme tandis que Grandier est brûlé vif, sacrifié sur l’autel de la violence éternelle.
Possédées plongera le lecteur dans la période de la Contre-réforme catholique (fin XVIème siècle, début XVIIème s.) à l’époque où la France est gouvernée par Louis XIII. Le lecteur baignera dans un conflit latent entre les Protestants français et les Catholiques romains et comprendra pourquoi le célèbre Richelieu s’est attaché à abattre les murs qui ceignent des villes comme Loudun. L’action du roman se situe dans la région du Poitou, une région du centre ouest de la France, une région où la Réforme protestante a eu une grande influence. C’est un roman intéressant, écrit par un philosophe et professeur des universités à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Spécialiste de l’œuvre de Michel Foucault, Frédéric Gros sait utiliser des mots sensibles pour provoquer notre enthousiasme.

Ezz El-Din Ashraf
Université d’al-Azhar
Département de Langue et Littératures Françaises
4ème année
Possédées
Frédéric Gros
Editions Albin Michel, 2016, 296 p.
La luxure destructive
Frédéric Gros nous ramène au XVIIème siècle, dans une ville de l'Ouest de la France, Loudun, pour nous décrire une affaire qui provoqua la stupéfaction dans toute la France de l’époque. Une histoire qui mêle la vraie foi, l'amour, la haine et l'horreur. Le jeune Urbain Grandier, prêtre de Loudun, est aimé de tout le monde, et l’était surtout du vieux curé Scevole de Saint-Marthe qui vient de mourir et auquel il faut trouver un successeur. Le choix se porte sur Grandier et il devient le nouveau curé de la ville. Mais Louis Trincant, le procureur du roi, se retournera contre Grandier après avoir été l’un de ses plus chers amis. Bientôt la distance entre les deux hommes s’accentuera à cause d’Estelle, la fille aînée de Trincant, belle, charmante mais qui déshonorera son père. Urbain Grandier sera plusieurs fois jeté en prison. Mais comment et pourquoi un curé, prêcheur, si pieux et rempli de foi ira-t-il en prison pour plusieurs mois ? On suivra Jeanne, Jeanne des Anges, bossue depuis son enfance mais en même temps irrévocable, prête à sacrifier sa vie pour Dieu. Jeanne qui viendra à Loudun et sera la mère supérieure du Couvent des Ursulines. Ce couvent, longtemps envahi par les démons qui pénétraient dans les corps des pensionnaires, est un couvent de « Possédées ».
Possédées est ainsi un roman qui nous explique ce que les diables font dans un corps humain. Pour guérir, il faut procéder à toute une série d’exorcismes. Avec Mignon (le chanoine de l'église Sainte-Croix), Barré (le curé de Chinon) et quelques carmes ayant des expériences dans l'exorcisme, on tentera de faire sortir ces mauvaises âmes de la ville entière. Mais il nous faut aussi connaître le nom du coupable qui invoquait ces démons. Un coupable qui a des préférences sexuelles et des penchants lascifs. L’accusé initial que les sœurs désignent est une véritable surprise. Le diable a ainsi son instrument pour ruiner les villes et les habitants. Mais peut-on communiquer avec les démons ? Que s'est-il passé à Marseille, surtout avec le prêtre Gaufridy ? Faut-il parler latin pour parler aux diables ? Grandier est le coupable. Sa vie changera et sera pleine de difficultés et de tensions après avoir été remplie d'amour. Maddalena, la fille qu’il a dissuadée, est son amour éternel. Grandier pleure quand il ne la voit pas ; simplement, il était fait pour elle.
Le lecteur s’amusera en lisant ce roman et c'est d’abord grâce à la simplicité du style de l'auteur. Une mobilité linguistique vous déplacera entre les scènes et les lieux comme si vous étiez dedans. Des figures de style éloquentes, des petits détails surprenants, une épopée littéraire et religieuse vous attendent. Cédez à la séduction !

Mahmoud Mohamed Abdelsalam
Université d’Al-Azhar
Département de Langue et Littératures Françaises
3ème année
Petit pays
Gaël Faye
Editions Grasset, 2016, 216 p.
Une terre sans frontières
Paix sans guerre et bonheur sans douleur sont des choses impossibles à trouver au Rwanda. Ce petit pays a été le théâtre de l’un des massacres les plus brutaux de l’histoire du monde. Gabriel y vit avec sa famille. À travers ce faux jumeau de l’écrivain, nous comprendrons comment tout a commencé. Comment dans la guerre, personne ne pouvait être neutre ! Gabriel est un enfant de 8 ans quand la guerre éclate au Rwanda. C’est un gamin métis qui a toutes les peines du monde à rester un enfant. Né d’un père français, entrepreneur, et d’une mère rwandaise, il a une petite sœur qui s’appelle Ana. Son père lui a interdit de parler de politique mais il en voit clairement les effets délétères sur sa famille, ses amis et même sur lui-même ! Sous ses yeux, la division est d'abord à l'œuvre au sein du foyer, puisque sa mère, qui est Tutsie, se sent incomprise par son mari. De dispute en dispute, les choses s'enveniment. L'enfant écoute tous les soirs dans son lit en agrandissant de son doigt le trou de sa moustiquaire. Yvonne, sa mère, part pour le Rwanda pour retrouver sa famille, délaissant mari et enfants. Les copains de Gabriel sont cinq garçons inséparables mais ils seront la cause de la transformation de la vie de Gabriel en un enfer insupportable. Ici, on peut clairement voir comment l’ami devient l’ennemi, comment la mort n'est plus une chose lointaine et abstraite et comment les enfants ressentent les grandes crises.
À travers chaque page vous découvrirez quelque chose du paradis perdu comme dit l’auteur Gaël Faye. Gaël Faye, né en 1982 au Burundi d'un père français et d'une mère rwandaise, a quitté Bujumbura en 1995 pour la région parisienne. Il est slameur et auteur-compositeur et chante son « Afrique des Grands Lacs ». Il s’inspire de son enfance au « petit pays », titre d'une chanson au refrain déchirant de son premier album Pili Pili.

Ibrahim Zakariyya Farag
Université d’Al-Azhar
Département de Langue et Littératures Françaises
1ère année – Études supérieures

Les Possédées
Frédéric Gros
Editions, Albin Michel, 2016, 304 p.


Passé revisité

Nous sommes en 1632. Époque que Frédéric Gros, philosophe et essayiste, retrace en nous narrant la montée puis la chute d’Urbain Grandier. Ce curé se révèle à nous sous les traits d’un homme éloquent, séduisant, amoureux des femmes mais surtout d’un bon catholique modéré et aimé des Huguenots, affinités qui vont lui valoir, dans la France encore secouée par le conflit opposant Catholiques et Protestants, nombre de problèmes et beaucoup de haine.
La concurrence entre le pouvoir, la religion et la politique est un thème majeur dans le roman. Non seulement, nous sommes au milieu d’une affaire historique notoire connue sous le nom des « Possédées de Loudun », mais l’auteur évoque aussi des personnages réels, où le fictif rend le réel plus enchanté et plus clair. Les démons portent le visage de personnes réelles. Les Ursulines du couvent sont en effet habitées par un démon qui a le visage, par pur hasard, d’Urbain Grandier.
Cette affaire va solliciter l’intervention des exorcistes. L’auteur raconte les moyens atroces utilisés afin de chasser le mal dans un style littéraire non seulement bien mené, mais comportant particulièrement une touche descriptive très fortement satirique, touche dont on peut dire qu’elle est l’un des points forts du roman. « Le commissaire se plante donc devant Jeanne, dont le visage violacé tremble de haine, d’envie :«  Asmodée, seigneur de Baator, serpent entre les serpents, dis-nous, dis-nous où se trouvent les marques du démon, où Satan déposa sur le corps du magicien ses baisers maléfiques ? Oui, c’était bien le démon de la luxure, car il hurla par la bouche de Jeanne : « In duobus natibus et in testiculibus . Notez, ordonna le commissaire d’une voix sombre, prenez note des fesses et des testicules. » Scientifiquement parlant, les sœurs du couvent et même la mère supérieure Jeanne des Anges, ces supposées « possédées » sont en réalité victimes d’une hystérie générale.
Frédéric Gros aborde plusieurs thèmes dans le roman, le rendant ainsi plus humain, plus universel, tel l’amour. Nous sommes face à une personne qui vit l’amour, l’unique, le Grand. Les sentiments d’Urbain envers Maddalena furent sublimes, un amour spirituel et charnel : «  Il s’était raconté que son corps n’était fait que pour les caresses du regard, il adorait quand le soir, ils se prenaient les mains ». Un amour qui fait vivre les veines, écrire les soupirs de la vie, remplir les cellules obscures par la lumière grâce au saisi de l’âme pour les yeux de Maddalena.
Les conflits politiques et religieux engendrés par la soif de pouvoir dans les ténèbres de la noirceur des envies humaines, jalonnent le roman. Qui a raison ? Qui triomphe ? Personne. Puisque cette histoire se répète à travers les époques mais sous des masques différents…
Enfin, « Possédées » par qui ? Par nos propres idées : le conflit entre le Dieu de la bonté et les démons du mal ? « Possédées » par nos désirs charnels ou par notre recherche d’un élan plus spirituel ?



                                                            Ilda Mazraani

                                                            Université libanaise - Section V

                                                Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
 

Cannibales

Régis Jauffret

Editions Seuil, 2016, 192 p.



 L’épistolaire de la bestialité

« Chère madame, à votre âge vous savez sans doute que les amours sont des ampoules. Quand elles n’en peuvent plus de nous avoir illuminés, elles s’éteignent. », « Chère Noémie, L’amour est comme l’argent, on peut être heureux dans la ruine mais l’opulence ne nuit pas au bonheur. », « Chère madame, je regrette que vous ne vous soyez pas tenue dans la plus grande chasteté le soir où vous l’avez conçu. », « Mademoiselle, je vous crois folle. Quitter mon fils ne peut être le fait d’une personne jouissant de toutes ses facultés. », « Chère madame, je vous ai écrit cette lettre sur du papier parfumé à la rhubarbe afin que si d’aventure vous refusiez de la lire, vous puissiez en faire votre goûter », « Mademoiselle, je vous prie à l’avenir de m’écrire sous la douche. Quand l’eau chaude les aura désagrégées, vous prierez la bonde d’avaler vos écritures avec votre crasse. »…
Lorsque l’amour se transforme en haine et que la raison perd toute lucidité, Cannibales voit le jour. Dans ce roman des passions  extrêmes,  Régis Jauffret relate la volonté démoniaque et destructive de deux femmes, très bonnes cuisinières par ailleurs, aveuglément passionnées et armées d’une recette appétissante ayant pour seul ingrédient : un homme. Oui, un homme, un vrai, l’ex de l’une et le fils de l’autre. Cet homme s’appelle Geoffrey.
Noémie est une peintre de vingt-quatre ans, Jeanne est une femme âgée de quatre-vingt-cinq ans. Deux générations les séparent mais le même désir rapace les unit : dévorer Geoffrey.
Ce roman épistolaire est constitué d’une correspondance à la fois cynique et ironique entre elles. Le lecteur a l’impression de lire une analyse psychologique de la nature humaine à travers chacune des pensées formulées et des paroles prononcées par les deux complices qui s’acharnent  sur leur misérable proie. Le complot symbolise non seulement la vengeance de cette collectionneuse d’histoires d’amour qu’est Noémie contre l’homme qui ne rampe pas à ses pieds pour la supplier de lui revenir mais aussi celle de la mère qui a donné à son fils le nom du seul homme qu’elle a aimé. La  complexité et la violence se traduisent par le désir fou de cuire la victime : « Prenez en soin, mon fils est un aliment vivant qui deviendra bientôt le plat de résistance de notre banquet… qu’il soit succulent, le corps de mon fils mort… ».
 Fantasmes cruels et extravagants défilent entre les lignes de ce roman constitué de métaphores hallucinantes. Réalité et fiction se croisent au fil des pages et reflètent la nature ambiguë des relations au XXIème siècle. Après le choc reçu, la confusion s’empare du lecteur qui ne peut qu’admirer le talent du romancier tout en l’incitant à savoir au plus vite si le roman se terminera par ce festin diabolique.



                                                                                   Lina Jibai

                                                                                   Université libanaise, Section V

                                                             Faculté des Lettres et des Sciences Humaines


Chanson Douce

Leila Slimani

Editions Gallimard, 2016, 240 p.


Rire de hyène ?

Le début commence par la fin, la mort étant le commencement de toute vie.

« Le bébé est mort » est la phrase qui annonce le début et la fin de l’histoire d’une famille parisienne constituée de Myriam, femme ambitieuse qui décide de reprendre son activité professionnelle après avoir donné naissance à ses deux enfants Mila et Adam, et de Paul, homme calme et raisonnable qui aurait préféré que son épouse reste avec ses enfants à la maison.

Les premières pages du roman ressemblent à une scène tirée d’un film policier, d’un thriller où pompiers, policiers, journalistes et ambulanciers se mêlent aux cris déchirants d’une mère qui vient de perdre ses petits. « En entrant dans la chambre où gisaient ses enfants, elle a poussé un cri, un cri des profondeurs, un hurlement de louve. Les murs en ont tremblé… elle a hurlé à s’en déchirer les poumons ».

Le pire des crimes, puisqu’il s’agit d’enfants, est commis par une nounou parfaite qui s’insère petit à petit dans la vie de la famille jusqu’à en faire partie et devenir un besoin quotidien voire une nécessité vitale. Ce roman de Leila Slimani constitue l’analyse psychologique de Louise présentant un complexe refoulé causé par une solitude et une souffrance glaçantes. Cette criminelle revêt maintes fois l’apparence de la victime et j’ai ressenti dans plusieurs passages de l’empathie envers elle. « Elle n’a qu’une envie : faire monde avec eux, trouver sa place, s’y loger, creuser une niche, un terrier, un coin chaud. Elle se sent prête parfois à revendiquer sa portion de terre, puis l’élan retombe, le chagrin la saisit et elle a honte même d’avoir cru à quelque chose ».

L’opposition entre le titre du roman, Chanson douce, et la nature de l’évènement raconté confirme le paradoxe inhérent à la psyché de la nounou et résume sa double vie. Cette contradiction entre la douceur d’une berceuse chantée et la monstruosité du crime est bouleversante.
Le style de Leila Slimani est imagé dans la mesure où ses mots et ses phrases renferment une multitude de tableaux que je peux imaginer en fermant les yeux en même temps que je les lis. « Des images confuses l’envahissent, sans lien entre elles, des visions défilent de plus en plus vite, liant des souvenirs à des regrets, des visages à des fantasmes jamais réalisés. L’odeur de plastique dans la cour de l’hôpital où on l’emmenait faire des promenades. Le rire de Stéphanie à la fois éclatant et étouffé, comme un rire de hyène ».

L. Slimani a des choses à dire dans son roman. Son  message a une portée symbolique qui va au-delà de l’espace et du temps et cela est évidemment dû à l’appartenance au XXIème siècle, époque des ambitions sans limites, de la rapidité et des grands excès. La tonalité dramatique présente un peu partout dans le roman et l’observation minutieuse à laquelle est convié le lecteur à travers les descriptions crée un effet de suspense et pique notre curiosité et notre désir de comprendre les causes réelles de l’infanticide. Louise est-elle criminelle ou victime ?

Je recommande fortement la lecture de Chanson douce.



                                                                                        Lina Jibai

                                                                                        Université libanaise, Section V

                                                                        Faculté des Lettres et des Sciences Humaines

Petit Pays

Gaël Faye
Editions Grasset, 2016, 224 p.


Chanson de guerre

J’ai écouté Gaël Faye chanter son « Petit pays ». J’ai entendu ses murmures de plaisir, ses cris de détresse, ses hurlements de colère. J’ai vu sa chambre, sa maison, son quartier Kinanira, sa ville de Bujumbura et son pays natal, le Burundi. Je les ai sentis à travers l’enfance de Gaby, un jeune métis dont le père est français, la mère rwandaise tutsi. Malgré ses diverses origines, c’est à ce petit pays que Gaby appartient et ce sont les évènements qu’il y vivra qui détermineront son identité. « Ma ville c’est Bujumbura. Mon pays c’est le Burundi. Ma sœur, ma mère, mes copains ils ont chacun un nom qu’ils n’ont pas choisi. On nait avec, c’est comme ça. Un jour, j’ai demandé à ceux que j’aime de m’appeler Gaby au lieu de Gabriel, c’était pour choisir à la place de ceux qui avaient choisi à ma place… Chacun voit le monde à travers la couleur de ses yeux. »
Gaël Faye peint dans les pages de son roman de sublimes tableaux exotiques où viennent se mêler le parfum de la terre, la saveur de l’eau et la couleur du ciel du Burundi.  Les matins et les soirs ont un goût  différent dans ce pays et j’ai senti naitre en moi une nostalgie mystérieuse envers la Côte d’Ivoire, mon pays natal.
Tout est douceur dans ce premier roman de Gaël Faye. Ce romancier de talent a su me  transporter dans l’univers exotique de l’Afrique, vers cette terre qui a bu tant de sang et en a nourri les racines de ses arbres, vers cette vieille terre déchiquetée par une guerre ethnique qui a fait tant de mal à ses enfants. « La guerre, sans qu’on lui demande, se charge de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais ». La sérénité des jours de l’enfance côtoient le tumulte de la guerre sans pour autant perturber le lecteur qui fait désormais partie de ce monde fictif.
 Les mots simples et doux de Gaël Faye coulent avec une magie envoûtante et nous plongent dans l’innocence de l’enfance, dans notre enfance… Son écriture se caractérise par une fluidité accessible aux lecteurs de sept à soixante-dix-sept ans.
Enfin, Petit pays est en réalité l’image d’un grand pays vu à travers les yeux d’un enfant qui ne grandira jamais, d’un enfant qui a chanté le jour et la nuit, l’amour et la haine, la paix et la guerre mais aussi la vie et la mort.


                                                            Lina Jibai

                                                                        Université libanaise, Section V
                                                            Faculté des Lettres et des Sciences Humaines





Règne Animal 
Jean-Baptiste Del Amo
Editions Gallimard, 2016, 432 p.


     La jungle humaine

Les quatre chapitres du roman de Jean-Baptiste Del Amo, Règne animal, racontent l’existence d’une famille à travers cinq générations. Il dépeint une vie sauvage où les hommes et les bêtes sont les héros.

Je n’ai jamais lu de telles horreurs : la maladie et la saleté sont partout, les êtres humains sont comparés à des animaux. Les identités se confondent et les noms abondent en se télescopant (la génitrice, la parturiente, la veuve et l’aïeule désignent la même femme). L’agonie et la mort planent sur cet univers étouffant mais malgré toute cette puanteur et cette ambiance maladive, j’ai envie de continuer la lecture. Des questionnements sur le sort des personnages d’une part et sur la sauvagerie des hommes d’autre part me poussent à m’enfoncer de plus en plus dans cet univers putride.

Le roman est trop amer, trop réel… Il m’interpelle sans cesse sur la responsabilité de l’homme dans tous les désastres terrestres. Les pages se transforment en champs de cadavres causés par une guerre ignoble, celle de 1914-1918. C’est le roman des extrêmes, des corps déchiquetés et recousus, des soldats qui font leurs besoins sans aucune pudeur les uns devant les autres en se regardant dans le blanc de l’œil… Je suis dégoûtée par les odeurs d’excréments, les infections, la morve et la mort. « Le sac de ses viscères sort de la plaie de son ventre et tombe dans ses bras réunis comme dans ceux d’une mère qui se retrouve à bercer l’enfant tiré hors d’elle ».
Certes certaines pages reflètent une lueur d’espoir avec l’arrivée d’un printemps quelconque, et l’amour d’Eléonore pour Marcel fait battre un peu mon cœur mais la folie dans laquelle sombrent les personnages est elle-même écœurante ; c’est la pitié mélangée à la terreur qui m’envahit, une peur d’une fin semblable à celle des personnages, une angoisse de cette punition divine qui leur est infligée  … et je continue la lecture…

Le vocabulaire employé par Del Amo est vulgaire mais après une brève réflexion je me  dis qu’il vaudrait mieux montrer la réalité telle qu’elle est au lieu de la cacher et de faire semblant que la vie est belle. Je finis par accepter ce qui m’a choquée au début,  par accepter la dureté des évènements, je la sens avec les pages que je tourne, je la vis sans cesse. Et je continue la lecture…
J’ai rarement ri en lisant ce roman, j’ai beaucoup pleuré parce que j’appartiens à cette espèce qu’est l’homme. Ce roman me dégoûte et je pense que cela est dû au talent du romancier. Il a sans doute choisi de transmettre son message violemment vu la gravité de la situation. Il a voulu me culpabiliser pour éveiller ma conscience et a fini par me transformer. Et je continue la lecture…
Règne animal est un grand roman que je conseille à tous les lecteurs, à tous ceux qui ont un cœur suffisamment grand pour accepter la réalité avec toute son amertume.

                                                                                        Lina Jibai
                                                                                        Université libanaise, Section V
                                       Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
 

Petit pays
Gaël Faye
Éditions Grasset, 2016, p. 224.


Un café au lait s'il vous plaît !

            « À mort l'ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, les antagonismes ! » (Ch.11, p. 88). Malgré toute la souffrance que Gabriel a trouvée au Burundi, son « petit pays », il a toujours la nostalgie de la nation où il est né, de l’autre petit pays où il a grandi : « il n'y a aucun manguier »  (p. 15). De nombreux souvenirs se croisent dans sa tête, comme cet arbre, qui est mentionné plusieurs fois, et qui lui rappelle l’enfance. Gaby, comme il aime qu’on l'appelle au lieu de Gabriel, est un enfant métis, café au lait, d'un père français et d'une mère rwandaise. À cause de la séparation de ses parents, Gaby titube entre ses deux identités et aussi entre deux appartenances familiales. Le manguier aurait peut-être l’avantage sur Gaby d’avoir un sentiment d’appartenance, puisque cet arbre ne souffre ni racisme ni déracinement : il a sa propre nation et peut vivre en paix contrairement à notre héros (Gabriel ou bien Gaby) qui nous raconte comment les guerres du Burundi et du Rwanda ont mis fin à son insouciance.
         
         Gaël Faye est un chanteur, rappeur, auteur-compositeur-interprète, et poète. Après avoir chanté la chanson « Petit pays », il publie chez Grasset son premier roman, qui porte le nom de la même chanson. Cet ouvrage,  bien accueilli selon les actualités littéraires, remporte le prix du roman FNAC 2016. Pour refléter la pensée d'un enfant, l'auteur a employé beaucoup de comparaisons, de métaphores imaginatives, les appliquant à une langue simple et empruntant des mots à la culture africaine tels que bwana (lynchage), zippo, et kalachinkov ... De même, la religion est remarquablement présente dans le roman et ceci est réalisé à travers l’emploi des citations tirées de la Bible.
« Je ne sais pas comment cette histoire finira... » (Ch. 31, p. 217) : c’est par ces mots que l'auteur stimule notre imagination, la laissant largement libre de spéculer la fin du roman.

L'auteur nous déclare qu’il a deux intentions, l'une narrative et l'autre descriptive, puisque les évènements sont  racontés et décrits en détails. En effet, nous remarquons que la description de la nature est très présente et claire. Les tonalités pathétique et tragique dominent dans ce roman surtout lorsqu’on y parle de la guerre civile. Quant au système d'énonciation chez l'auteur, celui-ci suit une forme du récit dans le discours : le roman commence par « Je ne sais vraiment pas comment cette histoire a commencé. » Le narrateur est un des personnages.

        Enfin, cet ouvrage est attirant parce qu'il touche nos contextes : ce qui se passe dans le monde comme guerres, les problèmes politiques, le racisme, le tribalisme, le régionalisme et les antagonismes de toutes sortes. Tous ces aspects tragiques sont présentés d’une manière intéressante. Par ailleurs, Gaby nous porte vers le monde magique de l'enfance par les évènements et les aventures qu’il nous raconte de façon amusante et explicite ; il nous transmet le parfum de ses rues d'enfance, car il est vrai que nous gardons nos souvenirs d’enfance plus que les autres souvenirs...


Basel BAHAROON, Yémen
Université de Sanaa, Faculté des Lettres
Département de Français, 4ème année de Licence

Cannibales
Régis Jauffret
Editions du seuil, 2016, 192 p.

                                                                    
L'amour est la mort

                                                                                     
       L'intensité de l'amour peut tuer.
       L'amour signifie le bonheur, l'aspiration, la tendresse et le sacrifice. Mais, dans ce roman, c'est tout le contraire. L'amour y devient dur et pénible.
       En effet, l'auteur nous illustre parfois le risque de l'amour excessif.
       Ce roman décrit l'amour qui se transforme en sauvagerie et haine.
       Noémie, peintre de 24 ans, avait une liaison avec Geoffrey. Mais ils ont rompu.
       Noémie a écrit un courrier à Jeanne, la mère de Geoffrey, pour s'excuser de cette rupture. Dès lors, une correspondance se développe entre les deux femmes, correspondance qui aboutit à la manigance d’une intrigue contre Geoffrey. Elles veulent dévaster son existence.
       Les deux femmes ont un caractère brutal, bien que le cœur de la mère contienne de l'amour et de la tendresse. Pourtant, ce roman nous prouve le contraire.
        Régis Jauffret est un écrivain français, né le 5 juin 1955 à Marseille. Il est l'auteur de nombreux romans dont Univers qui a obtenu le prix Femina.
         Le style cultive l’opacité et l’implicite qui nous pousse à chercher à comprendre. Ce roman est constitué d'un ensemble de courriers postaux, bien que de nos jours ce mode de correspondance n'existe plus.
          L'intention est narrative et descriptive.
         Quant à la tonalité, elle est pathétique parce qu'i l y a de la haine, de la dureté et de la violence.
         Ce crime se passe peut-être dans la réalité et les évènements mis en scène sont à la fois amusants et effrayants.
         Le titre du roman est attirant, la forme épistolaire lui conférant un aspect à la fois réaliste et tragique. 

                                                                                                         Ahlam Mohammed Al-Ghwedi
                                                                                                       Université de Sanaa, Yémen
                                                                                                       Faculté des Lettres
                                                                                                       Département de Français, 4ème année
 

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