«Continuer»
par
Laurent Mauvignier
Editions
de Minuit, p.240
Godot pourrait bien arriver…
L’une des principales vertus de la
littérature est sa capacité de mettre le lecteur dans la peau de l’autre. De
nos jours, la diversité est source de barbarie et non d’enrichissement,
puisqu’il est beaucoup plus facile et plaisant d’accuser et de condamner au
lieu de comprendre et de tolérer. Surmonter les traumatismes, vaincre la haine
et l’animosité qui nous empêchent d’aller à la rencontre de l’autre, ont poussé
Laurent Mauvignier à écrire pour explorer la nature humaine. C’est pourquoi la
plupart des titres de ses romans sont des états qu’expérimente chacun de nous,
comme Loin d’eux (1999), Seuls (2004), Dans la foule (2006),
parus aux éditions de Minuit. Continuer est le plus récent de ses
romans, publié chez le même éditeur que les précédents, dans lequel la souffrance
et l’angoisse affrontent une volonté tenace et un amour inconditionnel. Continuer,
c’est l’histoire d’une mère maltraitée par le sort. Après la mort de son amant
Gaël, Sibylle a perdu le goût de la vie, elle qui jadis s’est nourrie de rêves.
Mais abandonner n’est pas vraiment son choix ou sa décision puisqu’elle est la
mère d’un garçon qui porte le prénom de son écrivain fétiche, Samuel, son
reflet, sa quête, son catalyseur et son inhibiteur. Pour le sauver de la dérive
à laquelle il va tout droit à cause de la crise subie par ses parents, elle
organise une randonnée au Kirghizistan, défiant la lassitude et la paralysie
dans lesquelles elle sombre à cause d’une France lepénisée et d’un mari
déshumanisé. Elle part à la rencontre d’un monde inconnu, là où elle espère
réaliser le but ultime de sa vie, faire comprendre à son fils que l’autre,
c’est moi. Un but aussi difficile que les jours qui les attendent dans
les montagnes du Kirghizistan pendant lesquels les personnages font face à leur
fragilité. Ils (re)trouvent alors leurs identités, et renouent le cordon
abîmé par l’incompréhension et l’intolérance pour que la reconnaissance et
l’amour qui les relient, rendent ce que la vie doit à l’un et à l'autre et la
place à l’autre. Finalement Continuer possède toutes les qualités
pour interpeller un lecteur à la recherche d’une réalité nouvelle, plus belle
et moins cruelle que la nôtre. Et pour y accéder, le message est évident, il
faut continuer non seulement à rêver et à croire en ses convictions, mais agir
car la réalité peut finir par prendre la forme de nos rêves et voir finalement
Godot arriver.
Rim Khalaf
Master en Langue et Littérature
Françaises
Université Saint-Esprit de Kaslik
L’Enfant
qui mesurait le monde
Metin
Arditi
Ed. Actes
Sud, 2016, p. 304
De la mesure à la démesure… et vice versa.
Metin
ARDITI a voulu situer son roman de part et d’autre de l’Atlantique. Entre les États-Unis
et la Grèce, il tisse parallèlement l’histoire d’un architecte réputé, Eliot et
d’un enfant autiste, Yannis. Ce qui les unit est plus qu’une unité de mesure,
qui rétablit l’ordre du monde, c’est une note d’amour démesurée.
Avec les
trois ancres, libre arbitre, résurrection et travail, conseillées par le prêtre
homosexuel Kosmas, Eliot évite de tomber dans l’hybris, vit profondément le
deuil de sa fille Dickie morte à 10 ans et fait de son mieux pour réaliser un
projet d’école innovant, que cette dernière a brillamment conçu. On fait
l’éloge de l’éducation en immersion qui pourrait attirer davantage de jeunes
Erasmus, afin qu’ils s’imprègnent profondément de la philosophie grecque, en
voie de disparition.
En outre,
cet architecte qui construit non seulement des bâtiments, mais aussi un pont entre lui et sa fille disparue, est le
seul à pouvoir percer le mur derrière lequel Yannis est enfermé. Il arrive à
dompter les crises échevelées qu’endure l’enfant, en lui racontant les
histoires rocambolesques de la mythologie grecque. Edgard Morin n’a-t-il pas
rappelé d’ailleurs que la vraie nouveauté consiste dans le retour aux
sources ? En échange, c’est bien l’intelligence muette de cet enfant –
traegos qui « porte toutes les souffrances du monde », qui lui
donnera un coup de pouce pour résoudre l’énigme du fameux nombre d’or.
Eurêka !
Ainsi, L’Enfant qui mesurait le monde, publié
chez Grasset, est un alliage entre les chiffres et les lettres, une osmose
interculturelle et un pivot entre l’absent et le présent. C’est l’un des rares
ouvrages qui édifie une tribune libre pour ceux qui se débattent afin de
s’ouvrir aux autres, pour ceux qui ont peu de mots pour s’exprimer, pour ceux
qui portent quotidiennement le lourd fardeau de leur autisme.
Nada DAOU
Université Sorbonne Nouvelle –
Paris 3
Université Saint-Esprit de Kaslik
Doctorante en didactique des
langues et des cultures
Au Commencement du septième
jour
Luc LANG
Éditions Stock, 2016, 544 p.
Une vie mystérieuse
Luc Lang est né en 1956 à Suresnes dans une famille
ouvrière. Il est l’auteur d’une dizaine de romans et de recueils de nouvelles.
Auteur de monographies d’artistes et de textes d’esthétique sur l’art
contemporain, l’architecture et la littérature, il a reçu le prix Goncourt des lycéens
pour son roman Mille six cents ventres.
Le personnage principal de son dernier roman Au Commencement du septième jour, Thomas, est un informaticien âgé de 37 ans. Il vit dans une belle maison avec sa femme Camille et deux beaux enfants Elsa et Anton. Ce bonheur est stoppé net quand un coup de téléphone retentit en pleine nuit : sa femme, Camille, a eu un très grave accident de voiture sur une route normande à Saint Eustache-la forêt. « Saint Eustache-la forêt, en Normandie, sincèrement désolé de vous déranger en pleine nuit, Camille Texier, c’est bien votre femme ?.. .aux urgences de Bolbec …un accident de voiture, on souhaitait vous prévenir au plus vite. ». Thomas est perdu, les lieux qu’il interroge ne lui répondent pas : que faisait Camille à Saint Eustache-la forêt sur une route sans réel danger ? Pourquoi conduisait-elle à cette vitesse ? « Une ligne droite, pas d’obstacles… non, pas de tiers impliqué, aucun autre véhicule, elle, seule…pourquoi elle est sortie de… ?». Cet accident est pour Thomas le point de départ d’une quête qui va le conduire sur les chemins de son enfance. Il progresse dans sa recherche qui ne fera qu’augmenter le mystère : « c’était simplement un brouillard de plus en plus épais autour de Camille depuis cet accident ». De Paris au Havre, des Pyrénées en Afrique, il traverse des régions et des espaces familiers, pour enfin trouver un peu de paix.
Au Commencement du septième jour est un très grand roman d’atmosphère qui nous fait voyager dans l’espace et dans le temps grâce à un réalisme saisissant. C’est un roman magnifique par la profondeur de sa réflexion, un très beau livre où le lecteur découvre la sensibilité et la justesse de tout ce qui est décrit à travers de nombreuses descriptions et figures de style qui traduisent les émotions des personnages, leur souffrance et leur peur.
Le personnage principal de son dernier roman Au Commencement du septième jour, Thomas, est un informaticien âgé de 37 ans. Il vit dans une belle maison avec sa femme Camille et deux beaux enfants Elsa et Anton. Ce bonheur est stoppé net quand un coup de téléphone retentit en pleine nuit : sa femme, Camille, a eu un très grave accident de voiture sur une route normande à Saint Eustache-la forêt. « Saint Eustache-la forêt, en Normandie, sincèrement désolé de vous déranger en pleine nuit, Camille Texier, c’est bien votre femme ?.. .aux urgences de Bolbec …un accident de voiture, on souhaitait vous prévenir au plus vite. ». Thomas est perdu, les lieux qu’il interroge ne lui répondent pas : que faisait Camille à Saint Eustache-la forêt sur une route sans réel danger ? Pourquoi conduisait-elle à cette vitesse ? « Une ligne droite, pas d’obstacles… non, pas de tiers impliqué, aucun autre véhicule, elle, seule…pourquoi elle est sortie de… ?». Cet accident est pour Thomas le point de départ d’une quête qui va le conduire sur les chemins de son enfance. Il progresse dans sa recherche qui ne fera qu’augmenter le mystère : « c’était simplement un brouillard de plus en plus épais autour de Camille depuis cet accident ». De Paris au Havre, des Pyrénées en Afrique, il traverse des régions et des espaces familiers, pour enfin trouver un peu de paix.
Au Commencement du septième jour est un très grand roman d’atmosphère qui nous fait voyager dans l’espace et dans le temps grâce à un réalisme saisissant. C’est un roman magnifique par la profondeur de sa réflexion, un très beau livre où le lecteur découvre la sensibilité et la justesse de tout ce qui est décrit à travers de nombreuses descriptions et figures de style qui traduisent les émotions des personnages, leur souffrance et leur peur.
Cette histoire d’un
homme qui tente de rattraper le temps perdu pour enfin trouver le calme, la
paix et le repos est superbe. Vraiment, un livre qu’on ne lâche pas !
Zahria FLITI
2ème année, département de
littérature française
Université Islamique du Liban - Khaldeh
Tropique de la violence
Nathacha Appanah
Éditions Gallimard, 192 p.
Tropique de la violence
Nathacha Appanah
Éditions Gallimard, 192 p.
Identité perdue
Descendante d’une famille d’engagés indiens, Nathacha
Appanah est une journaliste et romancière mauricienne. Son séjour à Mayotte lui
a inspiré son sixième ouvrage, Tropique
de la violence, paru en 2016 et édité chez Gallimard.
Le titre de son œuvre se trouve être en parfaite harmonie avec l’histoire puisque Tropique de la violence est une révélation fidèle de la violence et de la misère répandues à Mayotte, fléaux qui engendrent l’injustice à laquelle sont confrontés les jeunes de cette île: «Tu vois des enfants traîner du matin au soir, des gens qui vivent toute leur vie dans les bois, des gens qui chient et jettent leurs ordures dans les ravines…».
Le titre de son œuvre se trouve être en parfaite harmonie avec l’histoire puisque Tropique de la violence est une révélation fidèle de la violence et de la misère répandues à Mayotte, fléaux qui engendrent l’injustice à laquelle sont confrontés les jeunes de cette île: «Tu vois des enfants traîner du matin au soir, des gens qui vivent toute leur vie dans les bois, des gens qui chient et jettent leurs ordures dans les ravines…».
L’histoire s’oriente
autour de trois personnages principaux: Moïse, Marie et Bruce. Moïse est un
enfant de race noire ayant un œil vert puisqu’il est l’enfant du djinn. Il est
en quête de sa véritable identité. Marie quant à elle est une jeune infirmière
au rêve brisé qui a accepté d’aimer et d’élever l’enfant. Et enfin, Bruce, chef
de Gaza, est violent et insoutenable et ne fait que dominer les autres.
Marie est morte trop tôt
dans le récit; Moïse qui ne savait pas qui il était vraiment, va devoir
affronter le monde misérable dans lequel il vit alors qu’il «voulait
appartenir à un endroit, connaître [ses] vrais parents, avoir des cousins, des
tantes et des oncles…»
Quant à Bruce, il ne se lasse jamais de se moquer de Moïse, de le torturer, de le blesser et de le ridiculiser: «Combien tu coûtes toi, Moïse?»
Quant à Bruce, il ne se lasse jamais de se moquer de Moïse, de le torturer, de le blesser et de le ridiculiser: «Combien tu coûtes toi, Moïse?»
Dans une atmosphère de détresse humaine et de misère, N.
Appanah s’attache à une description minutieuse du pays qui broie ses citoyens
et fait d’eux des êtres malfaisants. Même notre héros, Moïse, déclare que «cette
île a fait de [lui] un assassin».
Notre personnage devra donc s’accoutumer à obéir aux règles, à se nourrir et à ne pas réagir.
Notre personnage devra donc s’accoutumer à obéir aux règles, à se nourrir et à ne pas réagir.
Ce livre se caractérise par sa sincérité : il nous
dévoile les vérités affreuses de Mayotte. L’auteur y adopte un style souvent
ironique et satirique. Son génie nous plonge dans l’île elle-même. Aussi nous
sentons-nous impliqués par sa parole et son récit, et nous arrivons même à nous
demander:
Où en sont les sentiments humains? La violence serait-elle devenue un fait
divers?
Par l’intermédiaire d’une
écriture sensuelle, limpide et évocatrice, l’auteur témoigne d’un talent
littéraire intense et fait de Tropique de
la violence un roman-témoignage bouleversant, choquant et infiniment
émouvant. Ce livre est un coup de cœur. Il transmet de manière adéquate
l’affirmation d’Appanah: «Ce n’est pas parce que tu ne l’as jamais
vu que ça n’existe pas».
Clara Abou
Nader
Université Libanaise-section 2
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de Langue et de Littérature françaises
Université Libanaise-section 2
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Département de Langue et de Littérature françaises
Continuer
Laurent Mauvignier
Éditions de Minuit, 2016, 239 p.
Huit-clos
dans l’immensité des montagnes Kirghizes
Il n’est jamais trop tard pour se rechercher, se retrouver, et se
réconcilier avec soi-même. Et s’il existe un écrivain capable d’en parler,
c’est bien Laurent Mauvignier. Diplômé en arts plastiques, Mauvignier ne trouve
sa vraie vocation qu’à l’âge de 32 ans quand il décide de se convertir à la
littérature, et publie son premier roman.
Fidèle à lui-même et à sa description de la douleur des êtres, il nous
livre dans Continuer, paru aux éditions de Minuit, l’histoire de
Sibylle, infirmière divorcée, qui connaît des échecs à tous les niveaux :
des ambitions professionnelles tombées à l’eau, une vie de couple réduite au
néant, et un fils, Samuel, qui semble sombrer dans la délinquance.
Mais Sibylle n’est pas du genre à baisser les bras. Elle doit
Continuer. Elle décide de tout abandonner, sa vie, son travail, et de vendre la
maison parentale à laquelle elle est très attachée pour emmener son fils dans
une aventure folle, à cheval, en Asie Centrale au milieu du Kirghizistan.
Mais ce huis-clos dans l’immensité des montagnes Kirghizes ne semble
pas aboutir. En effet le fossé se creuse davantage entre elle et son fils. Le
temps passe lentement et le vide est peu à peu comblé par les gestes du nouveau
quotidien, les repas, les animaux, et surtout les chevaux. Le récit s’accélère
ensuite et prend la forme d’un western américain: aventures dangereuses, climat
hostile, population peu accueillante, …. Mais Sibylle ne veut pas lâcher, elle
s’accroche tant et si bien que son fils se demande si elle n’est pas folle.
Au milieu de ce roman d’aventures, une leçon de vie: les gens ne sont
pas ce qu’ils font mais ce qu’ils ont vécu. Et cela Samuel va enfin le
comprendre. Petit à petit, il commence à enlever ses écouteurs et à ouvrir les
yeux, à regarder autour de lui et à voir les choses d’un œil nouveau. Et
surtout il voit sa mère pour la première fois telle qu’elle est vraiment. Cette
mère qu’il croyait folle et dépressive, il va apprendre à la connaître. Il
découvre son passé et comprend comment elle en est arrivée là. Et c’est
ainsi qu’en essayant de sauver son fils, Sibylle va avant tout se sauver
elle-même, et retrouver une partie d’elle qu’elle avait perdue.
Au travers de son récit, l’auteur n’oublie pas de soulever des
questions d’actualité: la peur et le rejet de l’autre, le racisme, le
fanatisme, la quête d’identité…, le tout dans un style très descriptif et
visuel. Une écriture cinématographique avec des allers retours bien agencés
entre présent et passé, et des phrases rallongées, déstructurées, qui rendent
très bien compte de l’état d’âme des protagonistes.
Au fil des pages nous suivons les
péripéties de ce voyage initiatique, où l’évolution et la transformation des
personnages nous livrent un puissant message d’espoir.
Âmes fatiguées, perdues,
découragées, ce livre s’adresse à vous. Vous y puiserez la force de Continuer.
Et c’est bien à cela que sert la littérature. À fuir la réalité pour mieux
l’appréhender.
Marise Hajj Sayah
Université Libanaise
Faculté des Lettres
et des Sciences Humaines – Section 2
Département de Langue
et de Littérature Françaises
Laëtitia ou La Fin des hommes
Ivan Jablonka
Éd. Seuil, 2016, 366 p.
Ivan Jablonka
Éd. Seuil, 2016, 366 p.
Laëtitia
Perrais est plus qu'un fait divers!
Laëtitia ou La Fin des hommes, édité chez Seuil, est un essai socio-culturel de l'historien français
Ivan Jablonka, paru en août 2016. I. Jablonka est aussi reconnu comme chercheur
en sciences sociales.
Son ouvrage est dédié à Laëtitia Perrais,
afin de rendre hommage à cette jeune femme, dont la mort tragique en janvier
2011 à Pornic en Loire-Atlantique, a bouleversé toute la France.
Le sous-titre de l'œuvre La Fin des hommes est particulièrement
fort, et l'on se demande quel lien il pourrait avoir avec Laëtitia.
L'auteur a étudié le fait divers de Laëtitia Perrais comme un objet d'histoire, et sa vie comme
un fait social. Décédée à 18 ans, Laëtitia a
été, dès sa plus jeune enfance, maltraitée et accoutumée à vivre dans la peur.
Son père biologique la battait, alors que son père d'accueil abusait d'elle
sexuellement. En fait, c'est ce parcours de violences masculine, verbale,
physique et sexuelle qui la mettra sur le chemin de Tony Meilhon, un «psychopate prédateur»
de 31 ans, qui a passé la moitié de sa vie en prison, et qui a fini par
l'étrangler, la poignarder et la découper après l'avoir violée. La jeune femme,
pleine de vie, devient un corps qu'on remonte d'un étang.
Ce fait divers horrible s'est vite transformé en une affaire d'État,
lorsque Nicolas Sarkozy, alors président de la République, intervient et
reproche aux juges de ne pas avoir assuré le suivi de Tony Meilhon, précipitant
8000 magistrats dans la rue.
Selon I. Jablonka, «Laëtitia est née le jour où elle est morte». Il nous la présente comme ses proches la lui ont
présentée. D'ailleurs, toute l'œuvre d’I. Jablonka repose sur des rencontres
avec Jessica, la sœur jumelle de Laëtitia,
avec les Perrais, les Patron (famille d'accueil des jumelles), les Deslandes
chez qui travaillait Laëtitia, et quelques
amis et collègues de la victime, ainsi que des rencontres avec des magistrats,
des gendarmes, des experts, des avocats et des journalistes.
Ce livre est dépourvu de fiction, rien n'est inventé. On distingue une
absence totale de figures de rhétorique. Et c'est bien ce qui caractérise le
style de l'auteur, resté fidèle aux paroles des gens qu'il a rencontrés. Ces
paroles sont vraies, réelles et sont rapportées indirectement par l'auteur.
L'incipit nous rappelle le fait divers qui a relaté la disparition d'une
jeune fille de 18 ans à Pornic, à 50 mètres de chez elle, dans la nuit du 18 au
19 janvier 2011. Et c'est à partir de là que commence l'enquête d’Ivan
Jablonka, non pas à la recherche d'un cadavre, mais plutôt à la recherche de Laëtitia Perrais dont on ne connait rien. Bien qu'elle n'ait
pas compté pour beaucoup de son vivant, 300 personnes ont participé à une
marche silencieuse à côté du pont Saint-Nazaire où des recherches étaient en
cours pour trouver son corps.
L'essai est divisé en 57 chapitres avec des titres bien précis et une
table des matières. Le premier chapitre constitue l'incipit et le second traite
de la scène d'absence de Laëtitia et des
enquêtes programmées pour la retrouver. Le troisième chapitre évoque l'enfance
des jumelles et les difficultés qu'elles ont affrontées dès leur tout petit
âge, alors que le quatrième revient au Cassepot, lieu où Laëtitia s'est trouvée avec Tony pour la dernière fois.
C'est en alternant passé et présent que l'auteur poursuit son écriture tout au
long de l’essai.
I. Jablonka a également ajouté à la fin du livre des choix de références
et des bibliographies sur lesquels il s'est basé au cours de ses recherches et
de son travail d'écriture.
Laëtitia ou La Fin des hommes est un livre qui nous fait réfléchir sur ce que nous sommes tous, et
sur ce qu'est devenu notre monde: un monde où les femmes vulnérables se font
harceler, frapper, violer et tuer par des hommes agressifs. À la lecture de ce
livre, on se trouve face à des questions existentielles:
Quel rôle joue l'homme aujourd'hui dans la société? La virilité
devrait-elle toujours rimer avec violence et agressivité?
N'y a-t-il pas d'autres manières d'être un père? D'autres façons d'être un homme?
D'ailleurs, Ivan Jablonka lui même a reconnu à
la fin du livre: «Pour la première fois,
j'ai eu honte de mon genre».
Enfin, on pourrait se demander si le meurtre de Laëtitia Perrais n’est pas interprétable comme le signe de La
Fin des hommes, la fin de l'humanité,
des valeurs sociales et du sens profond de la paternité et de l'amour?
Renata Mouawad
Université Libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II
Département de Langue et de Littérature françaises
Université Libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II
Département de Langue et de Littérature françaises
Au
commencement du septième jour
Luc Lang
Éditions Stock, 2016,
537 pages
Une quête de soi
Luc Lang enseigne l'esthétique à l'École Nationale
Supérieure d'Arts de Paris-Cergy. Il est l'auteur d’une dizaine de romans,
recueils de nouvelles et essais sur les arts et la littérature contemporains
dont Liverpool marée haute (1991- Prix de Picardie), 1600 ventres
(1998- Prix Goncourt des lycéens) et Au commencement du septième jour (2016) qui va constituer le sujet de cette
chronique. Ce dernier opus était d’abord intitulé Préférer l’Océan,
titre qui contient une allusion à l’ouverture et à la multiplicité des actions
tout en mettant en relief l’océan comme élément fort du livre, mais l’éditeur
l’a trouvé trop poétique. L’auteur s’est inspiré de la chute de Thomas, le
protagoniste, qui se passe un dimanche (le septième jour) dans la montagne.
Partant de l'idée de lier trois lieux, à savoir Paris, les
Pyrénées et l'Afrique, Luc Lang va peupler ces géographies formant une
trilogie. En fait, il divise son roman en trois livres et pose une question à
la fin de chaque volume, question qui joue le rôle d’un pont entre une partie
et l’autre. L’œuvre est donc considérée comme une série d’actions.
Thomas, Camille et leurs deux enfants, Elsa et Anton,
forment en apparence une famille traditionnelle exemplaire. Camille travaille
hors de Paris dans une compagnie de télécommunication et rentre à la maison
pendant les week-ends, ce qui affaiblit leur relation et perturbe leur vie
intime. Jusqu’à ce qu’un jour Thomas reçoive un appel pour l'avertir que sa
femme a eu un grave accident sur une route qu'elle ne devait pas prendre. Au
début, il ne dit rien aux enfants et part mener son enquête sur la route
qu'elle avait prise pour savoir ce qui s'est passé jusqu'à son arrivée à l'hôpital
de Rouen.
Il en vient même à consulter les courriels et les derniers
appels de sa femme et commence à soupçonner qu'elle a eu une relation avec
Hubert Demestre, dont elle n’a jamais mentionné le nom. Le protagoniste ressent
fortement le besoin du soutien de ses enfants et de son frère aîné. Malgré
tout, il arrive à tenir le coup professionnellement, sauf le jour de sa
rencontre avec M. Demestre. Pendant ce rendez-vous tant attendu, les deux
hommes discutent de la situation médicale de Camille. M. Texier accuse Hubert
Demestre d'être l’une des causes directes de cet accident puisqu'il est le
dernier à l’avoir appelée et que le jour de l'accident, celui-ci a rencontré la
victime pour discuter des dossiers de travail. Il découvre ainsi que c'est un
ami d’enfance de Camille et que l'ex-mari de Myriam est son ami intime.
Quant à Claire, la mère de Camille, elle est aussi
soucieuse que Thomas. L'existence de sa belle-mère commence à lui peser à cause
de son caractère autoritaire. Anslene, un ami de Thomas, l'aide à découvrir la
cause de l'accident à partir de la boîte noire de la voiture de sa femme. Cette
dernière sera désormais affaiblie par un handicap, pour toujours, et ne pourra
plus marcher, c'est ce que Thomas confesse seulement à Myriam.
La famille de Thomas s'installe alors aux Pyrénées chez le
frère de ce dernier, ce qui est pour lui l’occasion de retrouver ses racines et
de reprendre contact avec sa sœur qui est en Afrique. Il passe donc d’une
enquête à une quête de soi.
L'auteur attire l’attention de son interlocuteur dès les
premières lignes : « … c’est elle qui raccroche ? Qui lui raccroche au… Il
appuie fébrilement sur la touche rappel mais c’est un numéro privé. ». À
travers un style narratif dense, Luc Lang présente certaines descriptions qui alourdissent
cependant l’histoire, telles que « Il repère un vol…. la poussière. » (p.92),
et qui, par moment, causent l’ennui: « Dans la vidéo,… poubelles» (p.61).
Pourtant dans les pages 87 et 88 : « L’infirmière les accompagne… une
voix claire et distincte. », une description allongée dont la structure est
presque littéraire confère une valeur particulière à la situation. De même,
l’insertion d’anglicismes comme « darling, A quiet night»,
la mention de « Sarkozy » en France et « Boko Haram
» en Afrique mettent en relief la modernité de ce roman. En outre, les
ponctuations reflètent le ton de la parole et transmettent le sentiment exact :
« C’est quoi ? Devinez ! Vous… vous avez une liaison avec ma femme ? »
(p.73).
Le lecteur sent qu'il mène la vie des héros, qu'il éprouve
leurs sentiments, visualisant les scènes et se perdant dans l'action.
Luc Lang a réussi là un coup de maître. Les 150 premières pages qui
racontent l’accident de Camille vous aspirent littéralement. Coup de cœur !
Ola Eid, Sylvana Amin
Égypte
Faculté des Lettres
Département de Français
Université d'Alexandrie
Zainab MOHAMMAD
Au commencement du septième jour
Luc Lang
Éditions Stock, 2016, 538 pages
Un
septième jour qui n’est pas de tout repos
Après l’accident de son épouse, les
événements de la vie de Thomas Texier ont pris une tournure très particulière.
Sa confusion va progressivement l’emmener à la découverte de la véritable
histoire de son épouse.
Ce roman fleuve de
538 pages est rempli de détails et de descriptions redondantes. La ponctuation
y est quelque peu déroutante car la plupart des phrases n’ont pas de point final
tandis que d’autres ne se terminent pas. À cause de tout cela, les dialogues
sont parfois confus ou difficiles à suivre.
L’auteur mélange
présent, rêves et passé pas toujours de façon très claire. On ne vit pas les
événements importants de l’histoire au moment où ils se passent mais on les
découvre par hasard au cours d’un dialogue qui se situe déjà à l’intérieur d’un
autre événement.
Mais même après
tout cela, plusieurs scènes demeurent touchantes et rappellent l’importance de
la famille, en lien étroit avec les épreuves de la vie et les beaux sourires.
Et simultanément,
il y avait des moments drôles et amusants.
La longue histoire
de Thomas vaut donc la peine d’être lue.
Musab
Masri, Soudan
Université
de Khartoum, Faculté des Lettres
Département
de français, 1ère année
Au
Commencement du septième jour
Luc Lang
Éditions Stock, 2016, 538 p.
Une
réalité à fuir… et un passé à découvrir !
Lui, c’est Thomas Texier, un jeune informaticien de 37 ans. Elle, c’est
Camille, son épouse et mère de leurs deux enfants. Pourtant leur vie de couple
ne peut se définir qu’en termes de froideur, monotonie et vide …
Ce qu’ils veulent de leur vie ? Deux souhaits frôlant
l’obsession : faire évoluer leur carrière professionnelle et économiser
assez d’argent afin d’acheter « un hôtel particulier doté d’un grand
parc… ». Toutefois, Thomas ne pouvait pas savoir que la vie est
capable parfois de nous prendre violemment au dépourvu, nous arrachant des bras
d’une paix illusoire pour nous jeter au
fond d’un chaos inexplicable, ou pour nous confronter à des révélations
bouleversantes… Quand enfin, il se rend compte que « la vie est une prison », et qu’« on
est enfermés dans le malheur », c’est trop tard. Les doutes qu’ils
s’efforçaient vainement de chasser, sont de retour, plus forts que jamais, et
surtout plus destructeurs. Quant à la soi-disant sérénité, elle n’était qu’une
illusion.
Il aura fallu un simple accident de voiture provoquant des soupçons et de
nombreuses interrogations pour que tout s’effondre. Camille est partie, le
laissant seul face à lui-même et à tant de secrets enfouis dans le labyrinthe
du mythe familial. Il est donc normal de le voir se révolter et chercher à
comprendre. Plusieurs quêtes seront alors les siennes : quête de soi,
quête du passé et enquête autour de sa femme mystérieuse…
Avec un style qui nous rappelle celui du Nouveau Roman, une multiplicité
considérable de détails, de descriptions et d’analepses, un entrelacement entre
discours et récit, une grande importance accordée aux lieux, aux directions et
aux gestes, Luc Lang brosse une fresque de la complexité de la vie
contemporaine où l’homme se sent englouti par son travail trop exigeant, et
obligé de supporter le matérialisme d’un monde devenu invivable ainsi que les
pressions parfois humiliantes du patron… C’est dans cette ambiance sévère que
l’on assiste à la défaite de l’humanisme et c’est ainsi que la vie se
transforme progressivement en une jungle et que l’esprit de l’homme se vide de toute
spiritualité et de toute pitié.
Un regard critique est également porté sur l’invasion incontrôlable et
exagérée de la technologie qui intervient dans tous les domaines de la vie en
mystifiant le naturel et en transformant l’homme en un esclave du petit écran
qui lui impose ses conditions et ses permanentes mises à jour… On devient petit
à petit prisonnier de ce monde virtuel à cause du désir illimité d’évolution
« […] c’est une puce électronique que tu mets à l’oreille des brebis…tu
peux les suivre sur un écran, et pour celles qui s’égarent, tu peux les
retrouver sans problème, au lieu de courir au travers de la montagne. »
(p. 308)
Le danger de la technologie ne cesse pourtant de nous menacer, il devient
terrible à tel point qu’un virus électronique peut être inséré dans le moteur
d’une voiture et par la suite mettre fin à la vie du conducteur…
GPS, ville, campagne, secrets cachés puis révélés… un père pédophile, une
mère lâche et insouciante, un frère traumatisé et une sœur fuyante … des
souvenirs qui hantent les couches de la mémoire, menaçant à chaque instant de
tout bouleverser. Une trame, à l’image de notre vie actuelle où un mince fil
sépare le présent du passé… et où un incident inattendu peut tout changer.
Zainab MOHAMMAD
Université libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Section V - Saida
Ma part de gaulois
Magyd Cherfi
Editions Actes Sud,
2016,
Crise d’identité, le mal du siècle!
Ma part de gaulois, édité chez Actes Sud, est écrit par Magyd Cherfi qui n’en est
pas à son premier essai. Magyd Cherfi, parolier-chanteur, écrivain et acteur
français d’origine algérienne, est aussi membre du groupe Zebda. Il est
né à Toulouse où il y passe son enfance.
« Dire que j’écris me gêne », dit- il, « complexe
d’anciens pauvres, d’ex- fils d’immigrés, d’épisodiques schizophrènes car je
suis devenu Français. J’ai du mal à écrire car je m’écris et m’écrire c’est
saisir une plaie par les deux bouts et l’écarter un peu plus. La plume m’a
séparé de mes compagnons d’infortune, tous ces «Mohammed» de ma banlieue
nord hachés menus par une société qui a rêvé d’un «vivre ensemble» sans en
payer le prix ».
Avec
des mots simples alliant le français des rues à celui de Molière,
mélangeant humour et sarcasme, Magyd relate le calvaire dont il a subi les
conséquences durant les années 1981, lorsque la gauche arrive au pouvoir semant
la zizanie dans le cœur des immigrés algériens. Comment Magyd, petit beur,
réussira-t-il à s’en sortir? « J’apprenais la vie à deux masques […] Je suis
devenu un demi- frère exotique chez les uns, un fils adoptif chez les autres […]
» (p. 17) C’est ainsi que Magyd a tenté de s’en sortir. Mais a-t-il
réussi ?
« Dès l’âge de dix ans, j’étais donc devenu le
mac du poème, l’Al Capone du vers. Un pur voyou de la plume. […] Sois français,
[me disait ma mère] bordel, mais ne le deviens pas. Grand écart » (P. 34). Cet
écart dont Magyd a voulu combler l’amplitude par le truchement de la
littérature s’est fait au prix d’injustices et d’incompréhensions: «
J’ai maudit cette illusion de croire qu’un livre vous sauve, un livre quartier
nord ça vous écourte le passage sur terre.» (p. 47) Malgré les obstacles, «je
gardais donc en ligne de mire un bac à préparer et m’y suis jeté comme un moine
sur la Bible ou un imam… Peu importe! C’est pas l’heure des crises d’itentité.»
(p. 53) A- t-il pu obtenir le bac ? Pour le savoir, il faudrait lire le
livre.
Ce qui est étonnant, c’est que dans un
monde où la technologie se développe et invente tous les moyens pour
diminuer les distances, l’homme vit une véritable rupture identitaire;
il n’arrive pas à concilier identité et appartenance. Tel un
schizophrène, il évolue entre deux mondes, « deux histoires qui se
faisaient la guerre, deux familles hostiles, deux langues irrémédiablement
opposées, [dont je] me suis plu à être la victime expiatoire […] de mes fêlures
identitaires deux richesses dans lesquelles s’est engouffrée la seule idée qui
vaille, l’universel. En devenant Magyd j’ai juste récupéré ma part de gaulois.
» (p. 259) Avec ses quelques mots, Magyd
a tenté de faire passer le message d’une certaine sagesse acquise grâce à ses
expériences personnelles.
C’est un livre d’actualité par son thème exposant les
tensions entre les origines et le besoin d’être comme les autres, un être
humain, ni plus ni moins, avec ses conflits psychologiques sans en rajouter
d’autres. C’est un livre qu’on a du plaisir à lire, surprenant par sa
transparence, sa franchise, une leçon qui pourra nous aider peut-être à être
tolérant avec nos semblables.
Quand pourrait-on apprendre à s’accepter, à
accepter l’autre et à éradiquer ce fléau qu’est l’ignorance ? En effet,
l’éducation est la clé pour tolérer la religion et les idées de l’autre
même si elles sont différentes des nôtres.
Aucun ne doit être jugé selon sa couleur ni
son origine si l’on veut respecter les Droits de l’homme.
Emmy
Fricke
Département
de Langue et Littérature Françaises
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines
Section
2 – Fanar, 3èmeAnnée
Université
Libanaise
Au commencement du septième jour
Luc Lang
Éditions Stock, 2016, 538 pages
Quand l’enquête devient quête
« La montagne est trop verticale, il faut
préférer l’océan. » C’est ce que nous découvrirons dans Au commencement
du septième jour du célèbre auteur Luc Lang, lauréat de trois grands prix
littéraires (dont le prix Goncourt des lycéens).
De prime abord, quand on entame la
lecture, le narrateur nous introduit dans une maison où vit un couple marié,
Thomas et Camille, avec leurs deux jeunes enfants Anton et Elsa. Cependant, une
atmosphère tendue est tout de suite communiquée au lecteur. Le narrateur évoque
immédiatement un froid dans la relation du jeune couple, il mentionne même le
désir non-partagé de Thomas d’avoir un troisième enfant. C’est au beau milieu
de la nuit que l’action est déclenchée: Thomas reçoit un appel l’informant que
sa femme a eu un grave accident, sur une route où elle n’aurait pas dû se
trouver. Cet évènement nous induit en erreur: l’intrigue consiste apparemment en
une enquête entreprise par Thomas afin de découvrir les circonstances de ce
malheur qui a plongé sa femme dans un coma profond. Toutefois, au fil des
pages, il ne s’agit plus de Camille mais de Thomas, du combat qu’il vit entre
un passé visionnaire et un présent qui va à rebours. Et là, il s’agit surtout
de l’être qu’il incarne avec ses multiples fonctions : époux, père, fils,
frère, employé, ami, etc.
Ainsi, Thomas n’est point seulement
l’actant sujet de la trame narrative, il en est aussi le fil conducteur qui
maintient assemblées les perles d’un collier. Thomas est le centre de deux
cercles: l’un formé par les personnages et l’autre par les thèmes de l’œuvre.
D’ailleurs, c’est la superposition de ces deux cercles qui crée tout le charme
du roman: à Camille, par exemple, se superpose le thème des relations
conjugales. À travers Anton et Elsa, apparait le challenge quotidien du rôle
paternel, surtout face à des questions sans réponse. Ainsi, « sa fille lui
demande s’il n’a pas le pouvoir de réveiller la belle endormie… Je ne suis pas le prince Charmant ma chérie,
j’ai pas ce… », répond Thomas. « Mais t’es amoureux c’est bien le
principal! Des larmes perlent à ses yeux Il faut la réveiller, papa, elle me
manque trop… ». Jean quant à lui, l’ainé de la famille, ce roi des
Pyrénées, détient le coffre des secrets familiaux. Il a toujours joué le rôle
du père par rapport à Thomas et à Pauline leur sœur.
Par ailleurs, grâce à la focalisation omnisciente adoptée par le
narrateur, on ne peut que se sentir impliqué et concerné par tout ce que vit le
héros. Son existence prend alors la forme d’un puzzle dont les pièces sont
éparpillées un peu partout dans le roman et dans le monde: entre le Havre (où
est hospitalisée Camille) et Paris (où habite Thomas), le présent devient un
brouillard qui l’empêche d’avancer. Et Camille, la seule qui aurait pu dire la
vérité, s’avère muette, dans le livre 1. Le roman nous plonge aussi au cœur des
Pyrénées, dans le village natal où vit Jean : les « Trois
Rois », Camille, Jean et Pauline gardent un immense secret enfoui dans le
coffre du passé familial. Enfin, à l’autre bout du monde, au Cameroun (où vit
Pauline), est caché un sourire d’enfant qui jettera les ponts entre le passé et
le futur, le départ et l’arrivée, et avec ce sourire apparaitra la clé du
coffre.
Ce qui laisse tout de même le lecteur
sidéré face à l’œuvre, c’est l’effet de suspense maintenu tout au long des cinq
cent trente-huit pages. Au cœur de l’action, alors que la tension est à
son comble, le narrateur nous ferme la porte au nez, comme s’il appuyait sur
Pause par l’intermédiaire de maintes descriptions, d’analepses, et de rêves. Et
finalement, la clé arrive avec une douce ironie, au moment où on s’attend le
moins.
Certes, il s’agit d’un roman
d’exploration. « On éprouve physiquement la traversée des paysages ».
L’auteur à la fois conteur et metteur en scène nous subjugue. Mais ce récit de
voyage est en même temps une autofiction, et surtout « un roman
d’apprentissage ». Au fil des pages, sur les pas de Thomas, on découvre
que ce n’est jamais fini, qu’on ne connait jamais assez ceux qui nous
entourent, même les plus proches ; et surtout, qu’on ne se connaitra
jamais assez nous-mêmes.
Finalement, « Au commencement du
septième jour » s’avère être le
symbole de la vie en elle-même. D’une
part, c’est le début, le départ, la naissance. D’autre part, c’est le septième
jour, jour du repos, temps de l’arrêt. Entre le départ et l’arrêt, se déploie
le long trajet parcouru par Thomas, parcouru par l’Homme en tant que tel. Au milieu
de sa course folle, il doit prendre du recul, se distancier de tout, s’arrêter.
Cette prise de conscience correspond alors à une nouvelle naissance, comme un
soleil se réveille à l’aube après avoir plongé la veille dans le bleu de
l’horizon.
Juliana Sassine
Université libanaise
Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines, section 2, Fanar
Département de Langue et Littérature
françaises
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